La maladie s'est déclarée lors d'une journée banale. J'étais arrivé de bonne humeur au travail. En l'espace d'une minute, j'ai été plongé dans un état de prostration, incapable de penser ni d'agir. Pris d’une crise de larmes incontrôlable et d'un grand état de stress, je tremblais si violemment que je suis tombé. J'ai cru être victime d'une crise d'épilepsie ou d'un accident vasculaire cérébral. Emmené en ambulance à l'hôpital, les médecins ne trouveront pas d'explication à cette crise. 48 heures plus tard, j'étais de retour chez moi avec des anxiolytiques, sans comprendre ce qui m'était arrivé. Ma vie ne sera plus jamais pareille.
De retour au travail, j’étais toujours gêné par un stress qui me rendait irritable. Mon médecin généraliste augmente alors la dose d'anxiolytiques, puis me prescrit des antidépresseurs. Mais c'est la dégringolade. Je tombe dans une dépression si profonde que je n'ai plus la force de m'habiller. Je dors quinze heures d'affilée et je suis assailli de pulsions suicidaires. Quatre mois plus tard, je réussis enfin à reprendre le dessus. Mais les épisodes dépressifs continueront de revenir, à peu près tous les deux ans. Dès que j'allais mieux, je me posais des questions: ces épisodes allaient-ils disparaître ou s'aggraver? J'étais frustré et vexé d'être dépressif. Il faudra plus de deux ans de séances chez un psychiatre avant que le diagnostic ne tombe enfin: une "psychose maniaco-dépressive" appelée maintenant trouble bipolaire. Il sera confirmé par l'arrivée d'une première crise maniaque, qui m'oblige à me faire hospitaliser. Dès ce moment, je suis convaincu que je n’y suis pour rien, au même titre qu'un diabétique ou un cancéreux. La base de ce trouble est biologique.
Malgré un traitement adapté à ma maladie, les épisodes dépressifs continuent de se présenter, tous les trois mois à présent. Je suis également sujet aux épisodes maniaques mais ceux-ci sont bien contrôlés par les médicaments.
Pendant les périodes de rémission, je m'investis en tant qu'administrateur chez Psytoyens et Similes, deux associations de soutien aux malades psychiques.
Pour ceux qui ne me voient que lors de mes "bonnes périodes", il est difficile d'imaginer que je puisse passer d'un état plutôt dynamique à une dépression profonde en seulement quelques heures! Lorsque je suis déprimé, je ne réponds même plus au téléphone. Ce n'est pas un choix délibéré, j'en suis incapable. J'ai beau expliquer le trouble bipolaire autour de moi, ses causes, le message passe mal. Au début de la maladie, je culpabilisais énormément. Maintenant, j'ai appris à vivre avec et j'en parle librement.
Je reste convaincu que oui, à partir du moment où il y a un bon diagnostic et une prise en charge complète des troubles bipolaires. Cela passe par un traitement médicamenteux, mais aussi un travail psychothérapeutique de fond, en complément. Dans ces conditions, beaucoup de patients parviennent à mener une vie familiale, professionnelle et sociale tout à fait normale. Malheureusement, ce n'est pas le cas de tous.
Certains patients bipolaires gardent des symptômes résiduels entre les épisodes (humeur dépressive, irritabilité, colère, impulsivité).
Ils peuvent également souffrir de perturbations cognitives (mémoire, attention, concentration) dues à la maladie elle-même, mais aussi aux traitements. Les patients ont du mal à se concentrer, à être dynamiques… Ce qui rend le quotidien difficile.
Les conséquences des troubles bipolaires peuvent également être lourdes à gérer. À partir du moment où il y a un décrochage professionnel ou familial, il est difficile de se reconstruire. Même si la maladie est stabilisée, le patient n'en reste pas moins affecté par les dégâts faits lors des crises passées.
Elle peut tout d'abord le soutenir dans les situations difficiles auquel il fait face. En outre, elle va lui permettre de gérer certains problèmes de fond (familiaux, relationnels, de confiance en soi..) qui ont influencé le développement de la maladie. La thérapie permet aussi de diminuer le risque de rechute et d'améliorer la qualité de vie au quotidien. Dans de nombreux cas, le trouble bipolaire et ses variations extrêmes de l'humeur sont un "mode d'expression" de problèmes existentiels. Ces derniers doivent faire l'objet d'une approche psychothérapeutique en parallèle au traitement médical.
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